Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome II.djvu/54

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il observait ces sortes de gens avec plus de soin qu’auparavant, et en faisait des railleries si fines, que tout le monde en était surpris.

Dans toutes ses actions la vertu était son objet ; mais comme il ne s’en faisait pas une peinture affreuse, à l’imitation des stoïciens, il n’était pas ennemi des plaisirs honnêtes. Il est vrai que ceux de l’esprit faisaient sa principale étude, et que ceux du corps le touchaient peu. Mais quand il se trouvait à ces sortes de divertissements dont on ne peut honnêtement se dispenser, il les prenait comme une chose indifférente et sans troubler la tranquillité de son âme, qu’il préférait à toutes les choses imaginables. Mais ce que j’estime le plus en lui, c’est qu’étant né et élevé au milieu d’un peuple grossier, qui est la source de la superstition, il n’en ait pas sucé l’amertume, et qu’il se soit purgé l’esprit de ces fausses maximes dont tant de monde est infatué. Il était tout à fait guéri de ces opinions fades et ridicules que les juifs ont de Dieu. Un homme qui savait la fin de la saine philosophie, et qui, du consentement des plus habiles de notre siècle, la mettait le mieux en pratique, un tel homme, dis-je, n’avait garde de s’imaginer de Dieu ce que ce peuple s’en imagina. Mais pour n’en croire ni Moïse, ni les prophètes, lorsqu’ils s’accommodent, comme il dit, à la grossièreté du peuple, est-ce une raison pour le condamner ? J’ai lu la plupart des philosophes, et j’assure de bonne foi qu’il n’y en a point qui donnent de plus belles idées de la Divinité que celles que nous en donne feu M. de Spinoza dans ses écrits. Il dit que plus nous connaissons Dieu, plus nous sommes maîtres de nos passions, que c’est dans cette connaissance, où l’on trouve le parfait acquiescement de l’esprit et le véritable amour de Dieu, que consiste notre salut, qui est la béatitude et la liberté.

Ce sont là les principaux points que notre philosophe enseigne être dictés par la raison touchant la véritable vie et le souverain bien de l’homme, Comparez-les avec les dogmes du Nouveau Testament et vous verrez que c’est toute la même chose. La loi de Jésus-Christ nous porte à l’amour de Dieu et du prochain, ce qui est proprement ce que la raison nous inspire, au sentiment de M. de Spinoza, d’où il est aisé d’inférer que la raison pour laquelle saint Paul appelle la religion chrétienne une religion raisonnable [1], c’est que la raison l’a prescrite et qu’elle en est le fondement, ce qui s’appelle une religion raisonnable étant, au rapport d’Origène, tout ce qui est soumis à l’empire de la raison. Joint qu’un ancien Père [2] assure que nous devons vivre et agir selon les règles de la raison.

Voilà les sentiments qu’a suivis notre philosophe, appuyé des Pères et de l’Écriture. Cependant il est condamné ; mais c’est apparemment par ceux que l’intérêt engage à parler contre la raison, ou qui ne l’ont jamais connue.

Je fais cette petite digression pour inciter les simples à secouer le joug des envieux et des faux savants, qui, ne pouvant souffrir la réputation des gens de bien, leur imposent faussement d’avoir des opinions peu conformes à la vérité. Pour revenir à M. de Spinoza, il avait dans

  1. Rom., XII, 1.
  2. Théophraste.