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LX
NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE.

Dès 1663, sept ans avant la publication du Theologico-politicus, et l’année même où parurent les Ren. Desc. Princip. more geom. demonstr., Simon de Vries avait entre les mains l’Éthique, ou tout au moins le De Deo, puisqu’il cite textuellement le Scholie de la Propos. X, part. 1. Il est vrai que Spinoza, dans sa réponse à Simon de Vries[1], donne une définition de l’Attribut qui n’est pas exactement identique, au moins pour les termes, à celle de l’Éthique[2], ce qui pourrait faire soupçonner qu’à cette époque l’ouvrage n’était encore qu’ébauché[3]. Mais voici des indications plus précises. En lisant la correspondance de Spinoza et d’Oldenburg, il est impossible de douter que Spinoza n’eût déjà en 1661 jeté les bases de son grand ouvrage, puisque il en envoie à son ami des morceaux d’une certaine étendue[4], lesquels contiennent les Propositions capitales du De Deo, où l’on sait que Spinoza est tout entier. Ce fait n’est pas de médiocre conséquence. Il en résulte qu’à vingt-neuf ans Spinoza, qui n’avait encore rien écrit, était en possession du principe de sa doctrine et déjà l’avait construite dans sa forme géométrique. Ceux qui ont pensé qu’en composant le Ren. Desc. Princip., Spinoza adoptait le pur cartésianisme pour son propre compte, avaient sans doute oublié, entre autres circonstances, que deux ans avant la publication de cet ouvrage[5], Spinoza démontrait à ses amis des Propositions comme celle-ci : Une substance ne peut être produite par une autre substance[6], doctrine qui peut bien être au fond cartésienne, mais de ce cartésianisme immodéré dont parle Leibniz, et que Descartes, à tort ou à raison, eût répudié. Du reste, les Axiomes et Propositions envoyés à Oldenburg, en 1661, ne se retrouvent pas mot pour mot dans l’Éthique, ni dans le même ordre ; ce qui prouve, ainsi que la lettre à Simon de Vries, qu’à ce moment Spinoza remaniait encore et refondait sa doctrine, suivant le progrès de sa pensée, ou peut-être, mais ce doit être bien rare, par le conseil de ses amis[7]. Tout ceci me conduit à une triple conclusion :

1o L’idée fondamentale de l’Éthique, la forme géométrique et l’ordonnance de tout l’ouvrage étaient déjà fixées en 1661[8].

  1. Voyez notre Lettre XIII.
  2. Éthique, part. 1, Déf. IV.
  3. Cette conjecture vient d’être confirmée par une découverte intéressante de M. Éd. Boehmer, de Halle. Il a trouvé sur un exemplaire de la Vie de Spinoza par Colerus l’esquisse d’un Traité de Spinoza, De Deo et homine ejusque felicitate, qui ne peut être que la première ébauche de l’Éthique. Voyez l’écrit de M. Boehmer : B. de Spinoza, Tractatus de Deo, etc. 1852.
  4. Voyez Lettres II, III, IV. — Il paraît que l’envoi fait à Oldenburg se composait : 1o d’un certain nombre de Définitions, particulièrement celles de la Substance, du Mode et de Dieu ; 2o d’un certain nombre d’Axiomes ; 3o de trois Propositions que je crois être (voyez Lettre III) la Ve de l’Éthique, la VIe et la VIIe, à laquelle Spinoza avait joint un Scholie qui est, si je ne me trompe, le Schol. II de la Propos. VIII, part. 1.
  5. Le Renat. Desc. Princip. fut publié en 1663.
  6. Voyez Lettre II.
  7. Deux des Axiomes envoyés à Oldenburg sont devenus dans l’Éthique deux Propositions. De plus, la Ire et la IIe des Propositions envoyées à Oldenburg sont maintenant la Ve et la VIe de l’Éthique.
  8. En 1665, Spinoza parlait de l’Ethica à Guillaume de Blyenbergh comme d’un