Page:Œuvres de Spinoza, trad. Saisset, 1861, tome III.djvu/445

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ce principe, que l’esprit humain ne peut comprendre d’autres attributs de Dieu que l’étendue et la pensée. Ce n’est pas que je ne voie très-clairement la chose, mais il me semble qu’on pourrait tirer une conclusion toute contraire du Scholie de la Propos. 7, part. 2 de l’Éthique ; et cela vient sans doute de ce que je n’en ai pas suffisamment entendu le vrai sens. J’ai pris le parti de vous exposer comment j’ai tiré cette conclusion, mais non sans vous prier instamment, là où je ne pénétrerai pas votre pensée véritable, de venir à mon secours avec votre obligeance accoutumée.

J’arrive au fait. Je vois bien, par le Scholie cité plus haut, qu’il n’y a qu’un seul monde ; mais il résulte aussi de ce Scholie que ce monde unique et partant chaque chose particulière sont exprimés d’une infinité de façons. D’où il suit que la modification qui constitue mon âme et celle qui constitue mon corps, bien qu’elles ne soient qu’une seule et même modification, sont exprimées d’une infinité de façons, par un mode de la pensée, par un mode de l’étendue, par un mode d’un autre attribut de Dieu que je ne connais pas, et ainsi à l’infini, puisque Dieu a une infinité d’attributs et que l’ordre et la connexion des modifications de ces attributs sont les mêmes dans chacun d’eux. Or voici la question qui se présente : Pourquoi l’âme, qui représente une certaine modification, laquelle n’est pas seulement exprimée dans l’étendue, mais d’une infinité d’autres façons, pourquoi, dis-je, l’âme ne perçoit-elle que l’expression de cette modification dans l’étendue, c’est-à-dire le corps humain, et pourquoi n’en perçoit-elle pas l’expression dans d’autres attributs de Dieu ? Mais le défaut de temps ne me permet pas d’insister plus longuement sur cette difficulté, qui s’évanouira peut-être tout à fait par de nouvelles méditations.


Londres, 12 août 1675.