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Déjà froide, l’ombre d’Eurydice voguait sur la barque du Styx.

« On dit que pendant sept mois entiers, retiré au pied d’une roche escarpée, sur les rives désertes du Strymon, il pleurait, et redisait aux antres glacés ces plaintes harmonieuses qui adoucissaient les tigres et entraînaient les forêts. Telle, sous l’ombre d’un peuplier, Philomèle gémissante redemande ses petits, que l’oiseleur impitoyable a surpris et arrachés à leur nid, lorsqu’ils n’avaient pas encore de plumes : elle pleure la nuit entière, et, se tenant sur une branche, elle recommence sans cesse son chant de douleur, et remplit tous les lieux d’alentour de ses accents plaintifs.

« Ni l’amour ni l’hymen ne purent toucher son cœur rebelle. Seul, à travers les glaces des régions hyperboréennes, au milieu des neiges du Tanaïs, et des plaines du Riphée, toujours couvertes de frimas, il errait, pleurant Eurydice et les dons inutiles de Pluton.

Irritées de ses dédains, les femmes de Thrace, au milieu des mystères sacrés et des orgies nocturnes de Bacchus, le mirent en pièces et semèrent dans les champs ses membres déchirés. Alors même que, séparée de son cou aussi blanc que le marbre, la tête d’Orphée était entraînée par le cours rapide de l’Hèbre : « Eurydice ! » répétait sa voix expirante et sa langue glacée ; « ah !