Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/371

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vieille s’efforce, autant que l’âge le lui permet, de hâter ses pas.

Alors frémissante, et, dans la fureur de son affreux projet, Didon, les yeux égarés et sanglants, les joues tremblantes et semées de tâches livides, et le front déjà tout pâle de la mort qui s’approche, s’élance dans l’intérieur du palais, monte, furieuse, au sommet du bûcher, dégage du fourreau l’épée du Troyen, présent qui ne fut point destiné à cet usage ; puis, regardant ces vêtements phrygiens, et ce lit si connu, elle donne un moment à ses larmes et à ses pensées, s’étend sur sa couche, et prononce ces derniers mots : « Dépouilles qui me fûtes si chères, tant que le destin et les dieux le permirent, recevez mon âme, et affranchissez-moi de mes tourments ! J’ai vécu : j’ai rempli la carrière que le sort m’avait tracée ; et maintenant mon ombre glorieuse va descendre chez les morts. J’ai fondé une ville puissante, et j’ai vu s’élever mes remparts. J’ai vengé mon époux, et puni le crime d’un frère inhumain. Heureuse, hélas ! trop heureuse, si jamais les vaisseaux phrygiens n’avaient touché mes rivages ! » Elle dit, et imprimant ses lèvres sur sa couche : « Quoi ! mourir sans vengeance !… Oui, mourons ! oui, même à ce prix, il m’est doux de descendre chez les ombres ! Que, fuyant sur les mers, le cruel Troyen repaisse ses yeux des flammes de ce bûcher, et qu’il emporte avec lui les présages de ma mort ! »