Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/50

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nous voyons les statues dans nos jardins : il laisse l’urne pleine de moralités se pencher négligemment et se verser.

Avec Virgile le procédé est tout différent. Mais entre Homère et Virgile, que de siècles s’étaient écoulés, mille ans peut-être ! Quelles révolutions dans les mœurs et dans les âges ! L’écriture avait fixé les poëmes ; des critiques de profession y avaient passé, et avaient dû nécessairement y mettre la main dès le moment de cette transformation et de cette rédaction par écrit. Les Homérides, ces disciples directs d’Homère, et toute une suite de poëtes épiques et cycliques, avaient imité le grand poëte fabuleux, l’avaient suivi religieusement et s’étaient modelés sur lui ; des écoles érudites avaient cultivé l’épopée comme un genre de littérature ; en un mot, le législateur intellectuel de l’antiquité, Aristote, était venu et avait fixé les limites, avait posé les principes et les lois de chaque ordre de composition. Virgile, né dans un pays où toute la littérature, à l’origine, était empruntée et transplantée de la Grèce, se voyait plus sujet encore qu’un autre, s’il était possible, à cette condition et à toutes ces conventions régulières de l’épopée du second âge. Mais je dirai que ces différences mêmes entre le récit épique tel qu’il se menait et se célébrait au temps d’Homère, et tel que le réclamait l’époque de Virgile, étaient bien d’accord avec le genre de talent de celui-ci, et bien plus capables de le soutenir et de l’aider que de le contrarier et de le restreindre. Car, de même qu’Homère est le premier des grands vieillards et des aveugles harmonieux qui, tenant une lyre, chantent et font leurs récits dans les assemblées publiques et les festins : que la foule qui les presse et les écoute inspire, et en qui l’improvisation et la composition se confondent dans la vivacité et la présence d’esprit d’une mémoire enchanteresse : de même Virgile est et sera toujours le premier des poëtes qui composent dans la chambre et le cabinet, qui étudient longuement et se recueillent, qui corrigent beaucoup et n’improvisent jamais. On a dit qu’il comparait lui-même les produits de