Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/51

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son esprit aux petits de l’ourse, qui, d’abord laids et grossiers, ne prennent forme et figure qu’à force d’être léchés par leur mère. Après le premier jet du matin, il passait le reste de la journée à revoir et à retoucher ses vers. Il ne néglige rien, il a tous les scrupules, il est châtié et diligent : c’est sa manière, à lui, d’avoir toute sa séve. Il est de ceux qui, pour plus de sûreté, écrivent volontiers les canevas de leurs poëmes en prose avant de les mettre en vers, et l’on dit que c’est ainsi qu’il fit pour l’Énéide. Il est de ceux que la foule effraie loin de les inspirer, et l’on dit qu’à Rome, où il venait rarement, s’il se voyait remarqué, suivi dans les rues, il se dérobait vite et entrait dans la première maison. Ce n’est pas lui qui eût rempli de sa voix la vaste salle d’un festin ; mais il avait sa revanche de lecteur dans un petit cercle d’amis. Enfin, par tout l’ensemble de sa nature et de son procédé, Virgile est le premier (si l’on me permet un anachronisme d’expression qui rend d’un mot toute ma pensée) — le premier, dans l’ordre épique, des poëtes Raciniens, le plus complet et le plus parfait. Il est le chef et, comme dirait Montaigne, le maître du chœur du second groupe, en regard du groupe d’Homère. Les lois et les règles mêmes de l’épopée devenue plus précise, loin de lui être une gêne, lui furent un maintien et une grâce.

Quant au caractère de sa narration épique, et pour ne la définir que par des traits généraux qui lui sont encore communs avec celle d’Homère, bien qu’ils acquièrent chez lui plus de correction et de netteté, je dirai que le poëme épique, comme il l’entend, est une narration sévère, élevée, ornée, grave et touchante, faite pour exciter l’admiration avec charme, et pour émouvoir les plus nobles puissances de l’âme ; c’est une poésie qui se marie à l’histoire, à l’amour de la religion, de la patrie, de l’humanité, de la famille, au culte des ancêtres et au respect de la postérité, à toutes les grandes affections vertueuses, comme aussi aux affections délicates et tendres sans trop de mollesse et