Page:Œuvres de Virgile (éd. Panckoucke, 1859).pdf/691

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prie, laisse-moi, avant de mourir, me livrer tout entier à ma fureur. »

À ces mots, il s’élance à bas de son char, vole à travers les ennemis, à travers les traits, et, abandonnant sa sœur éplorée, il s’ouvre un chemin rapide au milieu des bataillons. Tel un rocher, arraché par les vents, déraciné par une pluie subite, ou miné par l’âge et par le temps, roule et se précipite du sommet d’un mont escarpé : dans sa course impétueuse, il entraîne avec lui les forêts, les troupeaux, les bergers, et va bondir au loin dans la plaine : tel Turnus, à travers les bataillons en désordre, court aux murs de la ville, à l’endroit où des flots de sang baignent la terre, et où, sous le vol des flèches, l’air siffle ; il fait signe de la main, et d’une voix puissante : « Arrêtez, Rutules, s’écrie-t-il, et vous, Latins, suspendez le combat. Quel que soit l’arrêt du destin, c’est à moi de le subir ; c’est à moi d’expier pour vous la rupture du traité, à moi seul de combattre. » Aussitôt les rangs s’écartent, et laissent un espace libre.

Au seul nom de Turnus, Énée abandonne les murs et les hautes tours, franchit tous les obstacles, suspend tous les travaux, et, tressaillant de joie, fait retentir son armure qu’il agite d’une main impatiente : aussi grand que l’Athos, aussi grand que l’Éryx, aussi grand que l’antique Apennin lui-même, quand il résonne du