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Page:Œuvres de monsieur Nivelle de La Chaussée, 1762, tome 2.djvu/300

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Le Marquis.

Il ne faut que refondre un peu ton caractere.

Doligni fils.

Mais vraiment j’y consens.

Le Marquis.

Mais vraiment j’y consens.Ton défaut capital
Est l’embarras subit, le trouble machinal,
Qui, sans nulle raison, te saisit & te glace,
Si-tôt qu’on te regarde ou qu’on te parle en face.
Crois-moi, tombe plutôt dans l’autre extrémité
Rien ne fait plus de tort que la timidité.
Avec elle, par-tout, on est hors de sa place ;
Elle suspend, arrête, & fixe les ressorts
De la langue, des yeux, de l’esprit & du corps :
Elle en ôte l’usage ; elle en ôte la grace ;
Sur tout ce que l’on dit, sur tout ce que l’on fait,
Elle répand un air gauche, épais, & stupide.
Tel qu’on prend pour un sot, parce qu’il est timide,
Auroit de quoi passer pour un homme parfait.
Mais ce n’est pas là tout ; & si tu te proposes
D’avoir des succès éclatans,
Il te faut bien encor d’autres métamorphoses.
Il te manque le ton, l’air & les mœurs du tems :
Le monde où tu vas vivre exige, entre autres choses,
Qu’on soit plus amusant que solide & sensé.
Tu ne sçaurois parler qu’après avoir pensé.
Tu raisonnes toujours, & jamais tu ne causes.
Déraisonne, morbleu, plutôt que d’ennuyer :
Un peu moins de bon-sens, & plus de badinage.