Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/32

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sont rejetées en théologie, c’est qu’on tient qu’elles ne sont que d’une nécessité physique ou morale, qui ne parle que de ce qui a lieu ordinairement, et se fonde par conséquent sur les apparences, mais qui peut manquer, si Dieu le trouve bon.

5. Il paraît, par ce que je viens de dire, qu’il y a souvent un peu de confusion dans les expressions de ceux qui commettent ensemble la philosophie et la théologie, ou la foi et la raison ; ils confondent expliquer, comprendre, prouver, soutenir. Et je trouve que M. Bayle, tout pénétrant qu’il est, n’est pas toujours exempt de cette confusion. Les mystères se peuvent expliquer autant qu’il faut pour les croire ; mais on ne les saurait comprendre ni faire entendre comment ils arrivent ; c’est ainsi que même en physique nous expliquons jusqu’à un certain point plusieurs qualités sensibles, mais d’une manière imparfaite, car nous ne les comprenons pas. Il ne nous est pas possible non plus de prouver les mystères par la raison ; car tout ce qui se peut prouver a priori, ou par la raison pure, se peut comprendre. Tout ce qui nous reste donc, après avoir ajouté foi aux mystères sur les preuves de la vérité de la religion (qu’on appelle motifs de crédibilité), c’est de les pouvoir soutenir contre les objections ; sans quoi nous ne serions point fondés à les croire, tout ce qui peut être réfuté d’une manière solide et démonstrative ne pouvant manquer d’être faux ; et les preuves de la vérité de la religion, qui ne peuvent donner qu’une certitude morale, seraient balancées et même surmontées par des objections qui donneraient une certitude absolue, si elles étaient convaincantes et tout à fait démonstratives. Ce peu nous pourrait suffire pour lever les difficultés sur l’usage de la raison et de la philosophie par rapport à la religion, si on n’avait pas affaire bien souvent à des personnes prévenues. Mais comme la matière est importante et qu’elle a été fort embrouillée, il sera à propos d’entrer dans un plus grand détail.

6. La question de la conformité de la foi avec la raison a toujours été un grand problème. Dans la primitive Église, les plus habiles auteurs chrétiens s’accommodaient des pensées des platoniciens, qui leur revenaient le plus, et qui étaient le plus en vogue alors. Peu à peu Aristote prit la place de Platon[1], lorsque le goût des systèmes

  1. Aristote et Platon, philosophes illustres de l’antiquité que nous n’avons pas encore nommés. Platon, le plus ancien des deux, né dans l’île d’Egine, 427 av. J.-C., mort en 347. Il fut disciple de Socrate, fonda l’Académie, dont il laissa la direction à son neveu, Speusippe. Tous ses ouvrages nous sont parve