Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/24

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instinctive m’obligeait à taire l’aveu qui me brûlait les lèvres. Je me sentais trop enfant, trop neuf, auprès d’elle. Amèrement, je la revoyais dans l’épanouissement de ses vingt ans, avec les trésors de vie irradiant sa chair éblouissante, et l’éclatant sourire de ses dents blanches…

…Ce soir-là, quelque part (à quoi bon préciser ?) j’errais mélancolique dans la foule en liesse, seul, dans la cacophonie écrasante des manèges. Pourquoi, l’ai-je rencontrée ? Pourquoi, elle, si hautaine, et si distante est-elle venue à moi, comme viennent dans les contes de fées, les princesses radieuses et cruelles, aux pages égarés ? Jamais je ne le saurais sans doute ! À quoi m’avancerait de le savoir ? Au bout d’une heure j’étais à elle, tout entier. Au premier regard je lui avais fait offrande de ce qu’il y avait de meilleur en moi, de tout ce qu’il peut y avoir d’affection contenue, de sentimentalité exaspérée, chez un collégien tendre et fougueux. Aujourd’hui, après bien des années fécondes en souffrances et en avatars, je ne garde plus de l’aventure qu’un souvenir discret, un peu nostalgique. Mais j’ai adoré cette femme. Elle m’a fait souffrir et elle ne l’a jamais su. J’ai souffert, comme l’on souffre toujours d’un premier amour meurtri, d’une première illusion envolée, comme l’on regrette toujours la ferveur d’un premier élan, la foi et la dévotion du premier baiser.

Non ! j’avais trop d’amour-propre, et je ne pouvais avouer décemment à mon ami Masson, cette blessure douloureuse que m’avait infligée la brune et radieuse amie d’un jour qu’il connaissait fort bien. Alors, dans la plaie qui malgré tout s’enkystait, je tournais et retournais le fer…

Oui, le vent pouvait hurler. Et, compatissante, ma tristesse doucement, se mêlait à l’éclat de sa voix et pleurait avec la bise la lamentable mélopée de la détresse humaine ?

Oui, nous étions très bien dans cette infirmerie ! Volontairement j’avais rejeté par-dessus ma tête mes soucis de