Page:About - Le Fellah, souvenirs d'Egypte, 1883.djvu/339

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propre et luisant comme un panneau de voiture, nous apparut un moment comme une arche d’ingratitude ; Ahmed, debout à l’avant de notre barque, pleurait sans rien dire. Lorsque le Butterfly doubla le phare et s’engagea entre les jetées, le fellah se dépouilla de ses hardes, et se mit à les enrouler méthodiquement autour de sa tête. Personne ne le contraria dans cette opération ; on sait que les Orientaux déchirent quelquefois leurs habits en signe de deuil et se couvrent la tête de cendres ; on peut bien supposer qu’il se couvrent la tête de leurs habits. Lorsqu’il fut à peu près nu, il se retourna et nous dit : « Ne vous inquiétez pas de moi ; je nageais dans le Nil quand mes premières dents n’étaient pas encore tombées. Ou je ramènerai le yacht au port, ou j’irai volontairement me consoler avec mon père.

Il ne se jeta point à l’eau, il y descendit sans mouiller l’énorme turban qui lui chargeait la tête, et il se mit à tirer sa coupe avec autant de vivacité qu’une truite de cascade.

La brise était faible, mais le yacht avait de l’avance. M. Voisin, plus ému que nous tous, regarda sa montre par habitude. — Voilà, dit-il, qui dérange le programme ; mais nous ne pouvons pas abandonner ce brave garçon… Suivons-le, mes amis. Laroche, faites avertir le mécanicien du canot ; il nous aura bientôt rattrapés.

Et nous voilà courant après Ahmed, qui courait après miss Grace. Notre barque était chargée, et nous n’avions que deux rameurs ; il nageait donc plus vite que nous. Il entra dans la pleine mer quand nous étions au milieu de l’avant-port, entre les jetées. Rien n’indiquait chez lui la fatigue ou