Page:Adam - Voyage autour du grand pin, 1888.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Comme vous voudrez, madame l’étrangère. Alors soyez demain de très-bonne heure dans ce vallon, le vallon des Vallergues. Je m’appelle Nanette, et je vous attendrai près du champ d’oliviers où vous avez cueilli votre bouquet d’anémones bleues.

Voilà, chère madame, ce que j’ai fait aujourd’hui pour vous obéir. Vous ne me gronderez plus, je l’espère.




LE GRAND PIN




À la même,


Puisque vous m’y engagez, chère madame, je continue. En rentrant à l’hôtel, j’interrogeai les gens de la maison sur le Grand-Pin. On me répondit que, sauf les chèvres et les braconniers, aucun Cannois n’avait escaladé cette montagne, au sommet de laquelle se trouve un pin séculaire qu’on aperçoit très-bien de la route du Cannet. La maîtresse de l’hôtel affirma cependant que plusieurs Anglais avaient tenté l’ascension périlleuse et très-fatigante du Grand-Pin. « Il paraît, continua-t-elle, qu’à cette hauteur la vue est bornée d’un côté par les collines de Vallauris, et de l’autre par les bois qui couronnent la montagne elle-même. »

Je fus forcée de convenir à part moi que je m’étais laissé ensorceler par la petite marchande. L’imagination passablement refroidie, je regagnai ma chambre. Assise près du balcon de ma fenêtre, je franchis l’espace, et ma pensée n’arrêta son vol qu’au milieu des vallées de ma Picardie.

Tout à coup un phénomène singulier s’accomplit sous mes yeux. Une brume épaisse commença par couvrir la mer, puis gagna les îles de Lérins, puis la côte.

— Voilà, me dis-je, un autre charme de ce pays. À combien de dangers sont exposés ceux qui, par un temps semblable, se promènent sur les montagnes ou sur la mer !

On ne distinguait rien à deux pas devant soi.

Mais bientôt dans la campagne un coin de voile se déchire. Le bois de pins, le ruisseau, la bastide blanche, le vallon des Vallergues s’éclairent. Les oliviers aux feuilles diaphanes se confondent un moment encore avec la brume, puis le vallon tout entier resplendit. Le sommet du Grand-Pin se dégage, et le brouillard glisse jusqu’au pied de la montagne. Les rayons du soleil, longtemps contenus par la nuée, se répandent à