Page:Adam - Voyage autour du grand pin, 1888.djvu/4

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profusion sur les flots d’azur. La mer clapote sous une pluie de feu. À l’horizon, des barques aux voiles blanches glissent de tous côtés sur les vagues qui leur impriment à peine une légère ondulation.

Je regarde tour à tour les Vallergues et la Méditerranée. Je crois distinguer l’harmonie qui existe entre ce paisible vallon et cette mer nonchalante. Le brouillard épais qui couvrait mes yeux se dissipe. Je me sens touchée par la grâce de cette nature ; j’aime son doux sourire… Mais ce qui est aimable suffit-il à donner l’idée de la beauté ?

Le lendemain de ce jour, après une nuit troublée par des impressions nouvelles, je me levai de bonne heure, et malgré les avertissements de mon hôtesse je me rendis au vallon des Vallergues.

Dès que Nanette m’aperçut :

— Bonjour, madame l’étrangère, s’écria-t-elle. C’est bien gentil à vous d’être venue. Je vous promets pour la peine de vous faire regarder de belles choses. Prenez ce petit sentier et marchons.

— On m’a dit, mignonne, que du haut de ton Grand-Pin la vue est très-bornée.

— Qui sait cela ? repartit la fillette. La vue du Grand-Pin, madame, est moins bornée que celle des Cannois qui vous ont donné des renseignements sur ma montagne.

Et l’enfant, toute fière de son mot, éclata de rire.

— Parlons, fillette, de ce que tu vas me montrer.

— Nenni ; j’aime mieux vous faire une surprise. Je veux vous entendre dire ce que j’ai dit en voyant pour la première fois tout ce qu’on voit de là-haut : « Ah ! que c’est grand la terre ! » En regardant avec attention par ce beau jour, je suis certaine que vous apercevrez Marseille et même peut-être Paris…

— Voilà bien, dis-je en riant, l’exagération provençale.

Je demande à Nanette si l’on découvrait les glaciers de son Grand-Pin.

— Madame l’étrangère, répondit la petite, si vous étiez tout à fait bonne, vous ne me feriez plus de questions, et vous me laisseriez vous guider comme je l’entends.

— Je me tairai ; mais il me semble que je vais où tu me mènes.

— Eh bien ! alors, plutôt que de suivre cette route, si vous y consentez, nous nous enfoncerons dans le bois. Il ne nous faudra qu’une heure au lieu de trois pour atteindre le Grand-Pin ; ce sera plus dangereux, mais bien moins fatigant. Lorsqu’on est très-las, les belles choses paraissent laides, n’est-ce pas, madame ? tandis qu’un petit peu de danger ne gâte rien.

— Je veux être aussi brave que toi, mignonne, répondis-je, et d’ailleurs je hais les chemins fréquentés par tout le monde. Entrons dans le bois !