Page:Adam - Voyage autour du grand pin, 1888.djvu/5

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Je m’élançai gaiement à la suite de Nanette au milieu des ronces.

L’enfant, dont le caractère aventureux perçait à tous moments, s’écria :

— Nous allons monter à l’assaut ; moi, je suis le capitaine ! Nous marcherons tout droit, sans nous reposer, sans nous retourner. Arrivées là-haut, je vous mettrai un bandeau sur les yeux, je vous prendrai par la main, et tout doucement je vous conduirai. Lorsqu’enfin nous serons dans un endroit que je connais, je vous dirai : Regardez, regardez, madame l’étrangère, c’est ici !

— Alors, continuai-je en riant, je m’écrierai : Ah ! que c’est grand la terre !

— Vous direz ce que vous voudrez ; là-haut vous redeviendrez la dame.

— Bravo ! voilà qui est bien entendu. Je ne dédaigne pas les expéditions hardies. Escaladons courageusement le Grand-Pin.

Une heure après nous étions sur une belle plate-forme. Nanette décida que je devais me reposer à l’ombre d’un pin superbe qui dépasse tous les arbres d’alentour. C’est celui qui donne son nom à la montagne. De là je constatai que la vue, en effet, est très-bornée. Mais après m’avoir laissé respirer un instant, Nanette m’ordonna de fermer les yeux, et, me conduisant au milieu des pierres, me fit marcher pendant un quart d’heure encore.

Lorsque, sur un signal de mon jeune guide, j’ouvris les yeux, un cri d’admiration m’échappa ! En face de moi se dressaient les glaciers des Alpes maritimes. Sur le pic de Tende, la neige éblouissante, que n’altérait pas une ombre, semblait défier les rayons ardents du soleil. Au-dessous des glaciers, le regard s’arrêtait sur des collines rocheuses d’un rouge sombre. On eût dit que la mort, qui régnait plus haut, allait couvrir ces terres sanglantes de son blanc linceul.

— Derrière les neiges il y a l’Italie, dit Nanette doucement, de peur de troubler mes réflexions.

— Ah ! l’Italie, répétai-je, ce mot est le bienvenu. L’image de la mort n’a plus rien d’attristant si près de la terre des résurrections.

— Voici là-bas, au pied de ces montagnes blanches, Nice, la belle ville faite pour les étrangers, dit la petite ; puis le phare et le fort de Villefranche, bâtis sur le granit couleur des roses de mars ; à gauche, le village de Saint-Janet, caché entre les dents d’une roche sur laquelle les sorcières se réunissent pour le sabbat. Voici Biot, le pays des jarres ; Vence et Cagnes, qui, perchés sur leurs collines, regardent la passerelle du Var, où finissait autrefois notre Provence. À droite, vous voyez la presqu’île de la Garoupe avec sa belle verdure et sa petite