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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

et avec cette gravité particulière aux gens qui vivent dans les bois.

Lorsque la pipe du chef fut éteinte il en secoua la cendre sur le pouce de la main gauche, repassa le tuyau à sa ceinture, et se tournant vers Tranquille :

— Mes frères veulent-ils tenir conseil ? dit-il.

— Oui, répondit le Canadien ; lorsque je vous ai quitté sur le Haut-Missouri, à la fin de la lune de Mikini-Quisis (mois des fruits brûlés, juillet), vous m’avez donné rendez-vous à la crique des chênes-saules morts de la rivière de l’élan, pour le dix septembre, jour de la lune de Inaqui-Quisis (mois des feuilles tombantes, septembre), deux heures avant le lever du soleil ; chacun de nous a été exact ; j’attends maintenant qu’il vous plaise de m’expliquer, chef, pourquoi vous m’avez assigné ce rendez-vous.

— Mon frère a raison, le Cerf-Noir parlera.

Après avoir prononcé ces paroles, le visage de l’Indien sembla s’assombrir et il tomba dans une rêverie profonde que ses compagnons respectèrent attendant patiemment qu’il reprît la parole.

Enfin après environ un quart d’heure, le chef indien passa sa main sur son front à plusieurs reprises, leva la tête, jeta un regard investigateur autour de lui, et se décida à parler, mais d’une voix basse et contenue, comme si, même dans ce désert, il eût redouté que ses paroles tombassent dans des oreilles ennemies.

— Mon frère le chasseur me connaît depuis l’enfance, dit-il, puisqu’il a été élevé par les sachems de ma nation ; je ne lui dirai donc rien de moi. Le grand chasseur pâle a un cœur indien dans la poitrine ; le Cerf-Noir lui parlera comme un frère à un