Page:Améro - Le Tour de France d’un petit Parisien.djvu/203

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
LE TOUR DE FRANCE D’UN PETIT PARISIEN

ment, ouvrit à deux battants la porte d’une vaste pièce ornée de portraits.

Les visiteurs marchaient sur ses talons, avec un grand bruit de pieds traînés. Le cicérone prit une attitude étudiée, attendit que le silence se fît, et toujours de sa voix glapissante il annonça :

— Le portrait de François Ier ! C’est une copie du Titien, faite par M. Gérard. — Gérard était encore M. Gérard à Chenonceaux. Messieurs et mesdames, continua le cicérone, nous allons monter au second étage de la galerie que je vous ferai visiter tout à l’heure.

De nouveau un grand bruit se produisit sur les pas du guide. On gravissait des marches ; on envahissait une salle longue.

— C’est le théâtre, dit le cicérone, où fut représenté pour la première fois le Devin du village de Jean-Jacques.

— Jack ? fit le baronnet pris au dépourvu.

Alors s’éleva autour de lui un concert discordant d’explications empressées. Tout le monde parlait en anglais. Lorsque cette sorte de croassement — qui ne manquait pas de douceur dans les bouches féminines — se fut apaisé, M. Pascalet intervint ; mais sir William ne voulait rien entendre : il avait compris ; il savait…

— Rousseau, disait-il, yes ; drôle ! tutafaite drôle !

— Laissez-moi vous dire, sir, insista le vieux savant, qu’au milieu et jusque vers la fin du siècle dernier l’hospitalité du fermier, général Dupin réunissait à Chenonceaux, dont il s’était rendu acquéreur, les plus illustres représentants de la société littéraire d’alors, Buffon, Mairan, Fontenelle, le comte de Tressan, Mably, l’abbé de Saint-Pierre, Condillac, votre compatriote lord Bolingbroke, Voltaire, et surtout Jean-Jacques Rousseau, qui fit un séjour à Chenonceaux, comme secrétaire de madame Dupin, femme de beaucoup d’esprit.

— Oh yes ! faisait l’Anglais, à qui revenaient en foule maintenant ses souvenirs de rhétorique du collège d’Éton.

La salle de théâtre étant suffisamment examinée, on descendit dans la galerie de Catherine de Médicis, édifiée par cette princesse sur le prolongement que donne au château le pont de neuf arches, qui va rejoindre la rive droite du Cher. Justement en ce moment cette galerie encombrée de tableaux était ramenée à son état primitif, sous l’intelligente direction de madame Pelouze.

Cette fois, miss Kate retint Jean un peu en arrière.