Page:Anatole France - Balthasar.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

un moment étonné, puis rassemblant ses forces, il renvoya la marmite avec tant de vigueur que le poids en fut décuplé. Au choc de l’airain se mêlèrent des hurlements inouïs et des râles de mort. Profitant de l’épouvante des survivants et craignant que Balkis ne reçût quelque blessure, il la prit dans ses bras et s’enfuit avec elle par des ruelles sombres et désertes. Le silence de la nuit enveloppait la terre, et les fugitifs entendaient décroître derrière eux les clameurs des buveurs et des femmes, qui les poursuivaient au hasard, dans l’ombre. Bientôt ils n’entendirent plus que le bruit léger des gouttes de sang qui tombaient une à une du front de Balthasar sur la gorge de Balkis.

— Je t’aime, murmura la reine.

Et la lune, sortant d’un nuage, fit voir au roi une lueur humide et blanche dans les yeux demi-clos de Balkis. Ils descendaient le lit desséché d’un torrent. Tout à coup, le pied de Balthasar glissa dans la mousse. Ils tombèrent tous deux embrassés. Ils crurent s’abîmer sans fin dans un néant délicieux et le monde des vivants cessa d’exister pour eux. Ils goûtaient encore l’oubli charmant du temps, du nombre