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hommes, ils sont multiplicité[1] ». Cette multiplicité est la condition sous laquelle se réalise la destination de l’homme ; cela suffit à la rendre certaine et il est inutile de la démontrer : il suffit de l’avoir vécue par la conscience (leben und erleben)[2].

Ainsi pour Fichte, le vouloir est « la racine profonde de l’homme » (die Grundwurzel des Menschen), l’essence que le moi trouve au fond de lui-même, « quand il se pense lui-même dans sa pureté, indépendamment de la position des objets vils externes »[3]. Mais qu’est-ce donc qui prouve que le vouloir est libre ? Fichte ne le prouve pas. Il méprise ceux qui prouvent. Chez chacun de nous, le vouloir peut rester enfoncé dans les profondeurs de l’instinct aveugle ou sentir cette tâtonnante vie que l’on appelle liberté d’indifférence. Il ne devient liberté pleine et entière que le jour où il pose dans la conscience des devoirs moraux auxquels il oblige l’instinct à obéir. Par l’instinct, le vouloir plonge dans la nature. La liberté seule fait de lui un foyer d’action autonome. Les forces naturelles sont un tout, dont une loi rigoureuse de causalité tient soudées entre elles toutes les parties. La pensée objective aussi est un tout. Ce qui met en contact cet univers et cette pensée, c’est, dans une périphérie restreinte, la liberté. L’individualité est cette portion de nature élevée jusqu’à la pensée et qui, dès lors, est conscience. Nietzsche n’a pas pu conserver intacte cette inférence qui cherche à remonter au delà de la réflexion et la fait sortir d’un acte de liberté. Car il ne croit pas à cette liberté. Il ne croit qu’à une contingence, où tous les vou-


  1. Grundlage des Naturrechts (Werke, t. III, 39).
  2. Anweisung zum seligen Leben (Werke, t. V, 459). Voir aussi l’essai de Maria Raich, Fichte, seine Ethik und seine Stellung zum Problem des Individualismus, 1905.
  3. V. Xavier Léon, La philosophie de Fichte, 1902, p. 256.