Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/109

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loirs sont posés comme des faits, dont rien ne fait apercevoir la détermination. Le principe d’individuation toutefois, au delà duquel aucune analyse ne remonte, est resté pour lui un vouloir émotif, foyer de douleurs et de joies, et que l’intelligence pénètre jusque dans ses profondeurs. C’est une intelligence qui se reconstitue elle-même dans chaque individu, et s’y développe avec une identité approximative, comme toute la structure des individus de même espèce. Mais l’impératif moral rigoureux de Fichte n’en sera que plus vrai pour Nietzsche. Il n’est pas prescrit sans doute par une raison impersonnelle ; il est un jugement de valeur auquel nous donnons notre adhésion pour l’avoir créé de toute la force de notre vitalité propre ; il n’en reste ainsi que plus strictement individuel. Au terme, le devoir pour Nietzsche comme pour Fichte constitue une prérogative et une charge, dont l’individu a seul conscience. Et il peut seul l’assumer parce qu’il est tenu par ce devoir à une tâche dont seul il est capable à la place qu’il occupe dans le monde[1].

II. — La difficulté grave est de savoir comment assurer le lien entre ces individualités. C’est là surtout que le souvenir de Fichte a aimanté durablement Nietzsche. On verra que dans son premier système, s’il ne va pas jusqu’à admettre une pensée impersonnelle, où se loge notre conscience et où elle participe, il admettra une mémoire et une imagination impersonnelles, où elle baigne. Ces mythes fîchtéens se superposèrent chez lui très simplement au vouloir impersonnel de Schopenhauer. Ils disparurent quand Nietzsche s’aperçut de leur caractère métaphorique. Et Schopenhauer alors le laissant sans ressources, il se sauva par Fichte.


  1. Fichte, Staatslehre (Werke, IV, 447)