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Zarathoustra veut dire que par l’amour il se prépare un ordre moral nouveau où le bien sortira du mal, et où toute finalité sera le fruit d’une contingence intelligemment utilisée.

Abordons maintenant les moyens de réalisation. À mesure qu’ils se précisent, la similitude s’accuse entre Fichte et Nietzsche. Il n’y a guère de théorie mieux faite pour les rapprocher, que la distinction établie par Fichte de deux sortes d’hommes : les « hommes de sentiment obscur » et « les hommes de la connaissance claire ». À quelle œuvre sont-ils aptes ? Le sentiment obscur n’est pas propre à diriger vers nos fins véritables l’activité conquérante qui est notre vivant moteur et qui crée pour nous le monde. Ce sentiment obscur, animé de volonté, nous offre d’abord un moi tout avide de vie et de bien-être. La connaissance claire seule va à l’universel. Mais de soi elle serait froide et incapable d’action. Est-ce un antagonisme irréductible ? Fichte ne le pense pas. De même qu’il y a des hommes qui, dans la confusion du sentiment, aperçoivent déjà l’idée de l’ordre futur et chez qui la raison est en germe comme un instinct, ainsi la connaissance claire qui aperçoit dans une lumière glacée la fin rationnelle, peut sans doute s’imprégner de sentiment[1]. Il faut arriver à la remplir d’amour pour cet ordre moral qui ne surgirait pas sans elle. Car il n’y aurait pas d’univers réel sans la collaboration des pensées où il est représenté. Il n’y aurait pas de Dieu, sans la collaboration des consciences qui puisent en lui l’aliment de leur vie intérieure.

Fichte use, pour se tirer d’affaire, d’une grande expé-



  1. Reden an die deutsche Nation, III (VII, 303).