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rience psychologique généralisée. L’esprit géométrique d’un siècle tout adonné aux sciences de l’ingénieur l’avait suggérée à Spinoza. L’étude des conditions de la vision mathématique l’avait suggérée à Kant. Entre le sentiment obscur et la conscience claire, il faut intercaler l’imagination. Des images auxquelles travaille notre vouloir créateur nous attachent par le sentiment, et elles entrent alors dans la pleine lumière du savoir. L’homme ne peut vouloir que ce qu’il aime. Toutefois, il a la faculté de créer des images qui ne soient pas seulement des copies du réel, mais des modèles. Il aime ces images parce qu’il y a mis tout son libre pouvoir d’inventivité, et tout son désir[1]. Il en poursuivra la réalisation dans la matière par cet élan impétueux de l’âme. Un moyen d’action prodigieux est mis de ce fait entre les mains de ceux qui vivent d’une vie de pensée autonome et créatrice.

Ils sauront faire l’éducation de leur regard intérieur. Une conscience habituée à la libre et belle disposition des choses morales, souffre du désordre et de l’injustice. D’emblée elle court rétablir la beauté qui sera désormais sa naturelle et sévère exigence. Par l’habitude de créer en nous des images belles, il est possible de fixer notre mobile-vouloir[2]. Elles le disciplinent par une suggestion à laquelle il ne peut plus se dérober. Il est possible de stimuler en lui le besoin de fixer ces images visibles, et puis, dans toute sa conduite, l’objet invisible auquel il songe avec amour, et qui est la vie divine, l’ordre moral[3].

Dira-t-on que ce sont des idéals ? Mais idéal ne veut pas dire songe. Le torrent de la vie de Dieu est présent dans ces images. Rien n’est plus vivant en nous que



  1. Reden, II (VII, 284).
  2. Ibid., II (VII, 282).
  3. Ibid., III {VII, 305).