Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/124

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dehors, et sous la réaction de l’inorganique, il y a du vouloir. Ce vouloir est connu dans ses actes. Il se symbolise dans le corps. Une pierre a un vouloir aussi, que traduisent la force de pesanteur et les qualités chimiques par où elle manifeste son action. Les plus humbles de ces volontés sont encore présentes dans notre volonté humaine, consciente et complexe. Dans le moindre de nos actes conspirent les énergies additionnées de toutes nos particules organiques ou minérales. Pas de plus énigmatique mystère. Comment a lieu cette addition, puisqu’elle se fait du dedans, hors de l’espace et du temps ? C’est, dit Schopenhauer, que la volonté ne se réduit pas à la masse de ses déterminations assignables dans le temps, dans l’espace et dans la série des causes et des effets. Ces déterminations la symbolisent ; mais la volonté est hors d’elles. Elle est unique au lieu d’être multiple. Elle est hors de la connaissance, alors que tout ce qu’elle fait est connaissable. Elle pose des fins pour le vouloir individuel, elle n’a pas de fins elle-même ; car elle ne s’épuise pas dans les volitions individuelles, où elle se morcelle. Le vouloir est effort sans relâche. Toute végétation, toute existence animale est un cercle clos, qui va de la germination à la floraison, à la maturation, à la projection de nouvelles semences, à la germination nouvelle. Tout l’effort humain tend à des fins, et toutes sont provisoires et s’évanouissent dès qu’elles sont atteintes. Toujours des fins nouvelles remplacent les anciennes comme de nouveaux mirages ; et après la satisfaction illusoire, une oscillation nouvelle nous ramène à un autre désir non moins stérile.

Chacun de nous trouve donc en lui un vouloir qui ressemble à tous les vouloirs du monde. Par un trope hardi et sophistique, Schopenhauer conclut que le vouloir de chacun est identique dans sa racine au vouloir universel. Il veut vivre sa part de la vie du monde ; c’est pourquoi il