Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/125

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se représente le monde. Il se le représente, de son point de vue. Les représentations du monde sont donc multiples : la volonté, au contraire, est une en tous les êtres. Les individus sont comme des morceaux découpés dans la surface d’une sphère. Une force d’attraction les relie au centre et, par là, invisiblement à la masse du vouloir omniprésente dans toute la sphère.

De cette unité du vouloir, Schopenhauer tirait deux conséquences, explicatives de la nature phénoménale. 1o L’unité du vouloir lui paraissait expliquer l’adaptation parfaite de tous les êtres à leur genre de vie. La structure des plantes est adaptée au sol dont elles se nourrissent. La forme du squelette des animaux est faite pour avoir prise sur le milieu physique où ils trouvent leur nourriture. Le cerveau se crée un pédoncule optique et une surface rétinienne, parce que l’organisme veut recueillir les impressions du dehors. Le canal digestif se crée un poumon, parce que le corps veut échanger ses matières avec les gaz du dehors. Tout l’organisme n’est qu’un vouloir vu par son aspect extérieur. Schopenhauer croit donc vaine la tentative par laquelle Lamarck expliquait les formes des vivants, leurs armes et leurs organes, et qui les estimait issues des efforts répétés de chaque vivant contre le milieu, et des habitudes fixées dans l’organisme et transmises par hérédité. Tout l’orgueil de la métaphysique allemande apparaissait dans cette critique adressée à Lamarck :

« La part de vérité dans cette géniale erreur appartient au naturaliste. Il a vu justement que la volonté de l’animal est primordiale et a déterminé l’organisation de l’animal. La part d’erreur incombe à l’état arriéré de la métaphysique en France… Lamarck n’a pu concevoir sa construction des êtres que dans le temps, par succession[1]. »


  1. Schopenhauer, Der Wille in der Natur, chap. Vergleichende Anatomie.