Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/130

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tout imprégnée d’intelligence… Nous ne pouvons plus concevoir la joie, la douleur et le désir comme distincts de l’intellect[1]. »

Puis, ayant fait choix de son système dernier, Nietzsche renoncera sans doute à la métaphore qui cherche l’explication de l’univers dans une grande personnification, dans un grand vouloir qui mène irrationnellement les mondes. Pourtant il retiendra le système des analogies schopenhauériennes, et ce sont des volontés encore qu’il imaginera, mais à l’état de poussière vivante, dans les plus humbles éléments de la matière, comme au dedans aussi de toutes nos idées, dont ces volontés sont génératrices.

II. Le pessimisme. — C’est aussi pourquoi Nietzsche restera pessimiste. Son pessimisme est plus courageux que celui de Schopenhauer, mais plus inconsolable. La nuance nouvelle de ce pessimisme vient-elle de ce que Schopenhauer croit à l’unité du vouloir, tandis que Nietzsche dissémine l’être dans un pluralisme de volontés souffrantes et agissantes ? Rendons-nous compte que les suprêmes métaphores, où s’arrête un métaphysicien pour expliquer le monde, traduisent son sentiment de la vie plutôt qu’elles ne le déterminent. Les grands systèmes où est affirmée l’unité de l’être expriment un d’état d’âme lyrique qui veut de sa propre plénitude extatique remplir l’univers. Sur la nature de cette émotion, qui déborde d’eux sur le monde, la structure logique des systèmes ne nous apprend rien. Spinoza est enivré de joie devant l’unité de l’être. D’où vient donc le sombre effroi de Schopenhauer devant la même unité ? Spinoza est un sage, en qui la raison gouverne la vie ; et le récent progrès des sciences mathématiques le remplit d’une foi joyeuse en


  1. Nietzsche, Mensdiliches, posth., § 103 (XI, 49).