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du témoignage des sens. Hippias conteste le droit coutumier. Prodicus soupçonne que le divin n’est qu’un nom de l’utilité collective. Par ces philosophes, l’esprit humain s’élève à ce nouveau plan de la pensée, le scepticisme, où, la réflexion se meut toute pure, dans une liberté qui n’accepte plus aucune loi du dehors et ne cherche sa loi qu’en elle-même[1].

C’est assez dire que toute sophistique est provisoire. Toute discussion suppose accordés implicitement entre ceux qui discutent des principes communs au nom desquels on juge. Pas de victoire dans la joute des pensées, s’il n’y a pas d’arbitre ; et cet arbitre ne peut être que la raison. En chaque objet dont on dispute, il y a donc une essence rationnelle définissable ; et, quand elle est définie, la dispute se tait. La dialectique devient, avec Socrate et Platon, une méthode qui mène aux idées pures. Elle découvre en quelle mesure toutes choses participent à ces idées. Elle établit entre ces idées une hiérarchie qui, au-dessus de tous les dieux vulgaires, place un Dieu plus grand, l’idée du Bien.

Mais nous, qui connaissons ces idées immuables, n’est-il pas évident que nous prenons par à leur immutabilité ? Il y a donc, comme l’avaient enseigné les mystères orphiques, une région immatérielle où vivent les idées et les âmes, et d’où nos âmes sont descendues sans l’avoir oubliée. À ce seul souvenir, nous sommes encore saisis d’une émotion enivrante. La pensée

  1. Cette pensée de Nietzsche sur les sophistes n’est fixée qu’à l’époque du Wille zur Macht, § 429 (W., XV, p. 457). Dans son premier enseignement, Nietzsche, par malheur, a suivi l’interprétation de Grote, pour lequel les sophistes représentent la culture intellectuelle régulière et orthodoxe des Athéniens, tandis que Socrate et Platon auraient été les révoltés. On verra plus tard comment ce changement d’attitude a modifié aussi la pensée de Nietzsche sur Socrate.