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humaine, depuis Platon, a pris pied dans le plan du rationalisme, c’est-à-dire dans une contrée où elle aperçoit ce qui est plus durable que toute donnée sensible.

La première énigme déchiffrée par Nietzsche fut ce rythme de toute la pensée humaine révolue. Son ambition fut de remettre en branle, pour une œuvre nouvelle, cet effort immense d’analyse et de reconstruction. Le grand rival contre lequel lutte Nietzsche et qu’il prétend dépasser, c’est Platon. Ce qu’il veut fonder, c’est un platonisme nouveau exempt des tares qui, depuis Platon, ont vicié toute philosophie.




Le second secret de Nietzsche fut de découvrir que si tout le travail intellectuel du passé, après avoir dissocié les coutumes, avait toujours abouti à un rationalisme idéaliste, chacune de ces philosophies nouvelles, quand elle descendait dans le peuple, devenait à son tour préjugé opaque et paralysante coutume. C’est là un fait général de régression dont Nietzsche se flatte d’avoir été le premier observateur.

Combien de fois cette pétrification des idées a-t-elle eu lieu ? Tous les ouvrages de Nietzsche décriront cette histoire, et le Wille zur Macht la résume. Ça été un platonisme tardif, que le christianisme, établi par la négation passionnée de la morale, de la cité et des dieux antiques, approfondi par le mysticisme médiéval, systématisé par la scolastique aristotélicienne. Pourtant cette croyance, qui avait paru d’abord toute lumière et vie, extase et raison, n’a-t-elle pas trainé durant des siècles l’existence exsangue de ses dogmes desséchés ?

Platonisme encore, la philosophie moderne, éclose depuis Giordano Bruno, et la civilisation rationaliste qui la traduit.