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plus admirée en Pascal, et qu’il est le seul, dans la littérature allemande, à avoir reproduite[1].

Si l’on essaie de qualifier la théorie de la connaissance où s’arrête ce rigoureux mathématicien, on ne lui trouvera pas de nom plus exact que celui, trop moderne, que Nietzsche lui a donnée, quand il l’a empruntée : le nom de perspectivisme. La relativité de la connaissance ne se démontre pas tant par les erreurs des sens que par l’incertitude du point de vue où nous sommes placés pour observer. Sans doute, « nos sens n’aperçoivent rien d’extrême », et l’âge ou l’humeur obscurcissent encore les données troubles que nous recueillons d’eux ou le jugement chargé d’interpréter ces données. Pascal cependant ne se contente pas de ces raisons qu’un relativisme banal tirerait de notre sensibilité émoussée ou de notre raison trop peu souple. La difficulté principale qui nous empêche de voir le réel comme il est, c’est qu’il glisse entre nos mains et fuit sous nos yeux. Tout change par l’écoulement constant des choses et par notre propre mobilité. « Notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences[2]. » Le monde est comme un mouvant paysage, devant lequel nous sommes nous-mêmes en mouvement. Comment l’apercevoir dans sa structure vraie ? Il faudrait arriver à « ne pas juger de la nature selon nous, mais selon elle »[3]. Insurmontable difficulté. « Il n’y a qu’un point indivisible qui soit le véritable lieu. La perspective l’enseigne dans l’art de la peinture[4]. » Le problème de Pascal est de découvrir les lois de la perspective dans l’art de penser et dans la morale. Ainsi dans Nietzsche, tout le savoir de l’homme n’est que notre « pouvoir poé-

  1. Nietzsche, Fragm. posth. 1882-1888 (XIV. 24) : « Je feiner und umfänglicher ein Mensch ist, um so mehr fühlt er die ebenso schauerliche als erhabene Zufälligkeit in seinem Leben, Wollen, Gelingen. Er schaudert… »
  2. Pensées, I, 1.
  3. Ibid., XXV, 19.
  4. Ibid., III, 2.