Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/188

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pire de la force règne toujours[1]. » Mais on peut l’adoucir par des satisfactions imaginatives qui facilitent la soumission volontaire. Pascal est un théoricien qui, par liberté d’esprit, conseille de ne pas abuser de la raison. « Le plus grand des maux est les guerres civiles ». Elles sont sûres si on veut récompenser les mérites « et choisir les chefs par pure raison d’équité. L’imagination suggère des transactions sages : elle est fluctuation entre la force et la raison, également irréductibles. Elle tient compte de la force, mais tend à confier cette force à qui sera suivi par des esprits dociles. En qui cette imagination jouera-t-elle ce rôle ? Ce ne pourra être que dans « les maîtres », dans ceux du parti dominant. » Un temps viendra où ils devront songer à leurs successeurs. S’ils ne veulent pas continuer la guerre, ils ordonneront « que la force succède comme il plaît : les uns la remettent à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc. »[2]. Ils viendront au-devant du tempérament des hommes qu’ils ont à conduire. Est-ce juste ? Non. Mais cela est senti comme tel, et la force est du côté de la transaction intervenue. La pensée critique trouvera toujours de quoi mordre sur la justesse de ces transactions de fortune. Une pluralité de roturiers gouverne en Suisse. « Pourquoi suit-on la pluralité ? Est-ce à cause qu’ils ont plus de raison ? — Non, mais plus de force », et c’est une voie plus visible[3]. Pourquoi suit-on un monarque désigné par droit de naissance ? Cela est plein de risques. « On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de meilleure maison[4]. » Sans doute, mais « le mal à craindre d’un sot qui succède par droit de naissance n’est ni si grand ni si sûr » que le mal résultant d’une

  1. Pensées, V, 3.
  2. Ibid., VI, 62.
  3. Ibid., VI, 7 ; V, 4.
  4. Ibid., V. 9.