Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/20

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collectivités ? Ainsi la philosophie d’un Crenzer ou d’un Gœrres croyait avoir retrouvé l’enseignement du plus ancien sacerdoce oriental, celui des Perses ou des Égyptiens, par qui Pythagore et Platon sans doute avaient été initiés.

Mais, comme la régression luthérienne et absolutiste avait ramené un Moyen-Age mutilé, la régression contemporaine avait ramené un mauvais xviiie siècle. La philosophie des lumières ne put échapper au destin de descendre dans la vulgarité ; et nous baignons avec hébétude, selon Nietzsche, dans un faux déterminisme scientifique, dans un faux historisme, dans un humanitarisme débilitant. L’effort de Nietzsche fut de sauver d’abord la culture platonicienne des classiques et des romantiques. Il espéra qu’une Renaissance surgirait d’un Gœthéisme ravivé et approfondi par Schopenhauer et Richard Wagner.

Sa première déception fut de voir que Gœthe ne pouvant convenir au préjugé populaire, déjà Schopenhauer et Wagner s’y accommodaient trop. Alors, pour redresser la tradition classique et romantique gauchissante, il fit appel à la grande lignée des sceptiques français de la morale qui, de Montaigne à Stendhal, avaient cherché la vie sous la convention factice. Un grand historien suisse, Jacob Burckhardt, la prolongeait ; et de la jeune philosophie des États-Unis avec Emerson. se levait le mirage d’un romantisme vierge, épuré par le scepticisme de Montaigne.

Arrivé à pied d’œuvre, avec tous ceux-là, Nietzsche les congédie, non par ingratitude, mais avec mélancolie. Car il lui reste à accomplir seul sa tâche propre et qui est, dans sa pensée, de fonder la première philosophie contemporaine. Résolu à défricher le sol à jamais de tout foisonnement de platonisme, il en extirpe notamment la souche la plus souterraine