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et résistante, la croyance chrétienne. Sous les préjugés figés de la religion, de la morale, de la politique, de métaphysique, il prétend retrouver le secret de la vie naturelle et sociale. C’est un cri du cœur chez lui que cet aphorisme :

Les hommes dogmatiques, tels que Dante et Platon, sont ceux que je sens de tous les plus éloignés de moi : Et peut-être ont-ils par là plus d’attrait pour moi que les autres[1].

Ces dogmatiques s’abritent dans de factices et fragiles constructions d’idées qu’ils croient éternelles. Nietzsche prétend nous enseigner à vivre dans le réel mouvant. Il conçoit un phénoménisme idéaliste nouveau, qui retracera le contour exact et le serpentement de la vie, sans lui assigner de direction, mais en lui donnant un sens déposé en elle par notre jugement et par notre émotion.

Nietzsche a abordé sa tâche avec une humilité orgueilleuse, avec une joie extatique et angoissée. Il a parcouru l’histoire entière des philosophies, des littératures, des sciences, des croyances, des civilisations. L’historien de sa pensée est tenu de relire après lui les livres qu’il a lus[2] ; et comment n’être pas saisi de désespoir parfois devant l’étendue de cette recherche et devant la variété de savoir qu’elle exige ?

Le présent volume introductif ne veut pas dénombrer tous

  1. Nietzsche, Fragments posthumes de 1882-1883 (W., XIII, p. 55).
  2. La besogne est facilitée non seulement par les citations qui abondent dans les œuvres et dans la correspondance de Nietzsche, mais par deux modestes et très utiles instruments : 1o Le catalogue de la Bibliothèque de Nietzsche, conservé au Nietzsche-Archiv de Weimar, et publié par Mme Foerster-Nietzsche sous le titre de Friedrich Nietzsches Bibliothek