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de travertin sommairement joints prennent un caractère étonnant de grandiose.

Mais cette beauté, il ne faut pas la copier. L’architecture florentine est belle parce qu’elle n’imite pas le grec ; elle rappelle les hommes qui ont bâti et leurs besoins.

Comme on voit bien à la forme solide de ces palais construits d’énormes blocs qui ont conservé brut le côté qui regarde la rue, que souvent le danger a circulé dans les rues[1].

La physionomie d’un bâtiment qui inspire un sentiment d’accord avec sa destination est ce que Stendhal appelle style[2] ; et la perception immédiate de cet accord, visible dans tous les contours, nous donne l’émotion de la beauté.

Ce frisson, cependant, nous prouve que l’esprit même qui a créé l’œuvre belle et réalisé la synthèse ingénieuse ou grande des moyens matériels propres à nous procurer une utilité, un agrément ou une joie, habite encore dans les formes. Il nous saisit par directe suggestion. En découvrant le dôme de Milan, aperçu par dessus les ombrages des jardins Belgiojoso, « il n’est pas besoin de raisonnement pour trouver cela beau ». Sous la coupole de Saint-Pierre de Rome, « la présence du génie de Bramante et de Michel— Ange se fait tellement sentir », qu’on en sent comme le souffle passer[3]. Gœthe, à propos de la cathédrale de Strasbourg, n’avait pas évoqué avec plus d’éloquence « les hommes rares à qui il fut donné d’engendrer dans leur âme une pensée babylonienne, intacte, grande et d’une beauté nécessaire jusque dans les moindres détails, comme des arbres divins, » dans lesquels parle encore l’esprit du créateur[4].

  1. Rome, Naples et Florence, p. 209.
  2. Ibid., p. 29.
  3. Ibid., p. 41. — Promenades dans Rome, I, pp. 152, 153.
  4. Gœthe, Von deutscher Baukunst (Ed. du Centenaire), XXXIII, pp. 3, 8.