Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/259

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Qu’on transpose dans le langage des autres arts cette théorie architecturale, on la retrouvera exacte en tous. Aujourd’hui comme autrefois, « le premier mérite d’un jeune peintre est de savoir imiter parfaitement ce qu’il a sous les yeux », et la qualité touchante des écoles primitives, et encore d’un Ghirlandajo, réside dans cette fidélité qui ne choisit pas et à laquelle le beau idéal eût semblé une incorrection. « L’idée de choisir ne parut que vers 1420. » Le secret, oublié depuis l’antique, de sortir de la froide et minutieuse copie de la nature, Michel-Ange le retrouve. « C’est lui qui, parmi les modernes, a inventé l’idéal[1]. »

S’il y a certes du beau dans la nature, idéaliser, c’est faire du beau en la parachevant, en élaguant ses infirmités, en réunissant ses perfections éparses. Mais le parfait, c’est dans la forme humaine encore, l’utile, c’est-à-dire ce qu’on redoute, et ce qu’on aime.

Il faut considérer comme indissolublement liées ces deux définitions :

La beauté a été, dans tous les âges du monde, la prédiction d’un caractère utile[2].

La beauté n’est que la promesse du bonheur[3].

Mais de l’utilité au bonheur il y a toutes les transitions cjui vont de la défense contre le danger aux plus pures extases de l’amour. Au temps des guerres féodales, on ne concevait pas la beauté virile sans la massive force musculaire de Michel— Ange. Les puissantes jeunes femmes de l’Incendie du Borgo font comprendre que pour Raphaël encore « ce n’est que dans des corps robustes que peuvent se rencontrer les passions fortes et toutes leurs nuances, domaine des beaux arts ».

  1. Promenades dans Rome, I, 137 ; II, 515.
  2. Attention : Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Ibid., II, p. 438.
  3. De l’Amour, p. 34. — Rome, Naples et Florence, p. 30.