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Est beau ce qui, en rappelant l’utilité passée, ou le bonheur d’autrefois, pose encore sur la forme des objets ou leur image la lumière des joies qui furent, et par là augmente en nous le sentiment enivré de vivre. Aussi une exubérance sensuelle, vigoureuse, un perpétuel printemps intérieur est le propre de tous les artistes, et c’est là ce qui fait leur force de suggestion.

L’idéologie de la musique paraissait à Stendhal moins avancée que celle des arts plastiques. Il imaginait un Lavoisier de la musique, « qui ferait des expériences sur le cœur humain et sur l’organe de l’ouïe lui-même ». La grammaire musicale d’aujourd’hui, faite de billevesées, mathématique, empirique et compliquée, en acquerrait une certitude plus propre à exprimer ce qu’on lui demande. La musique présente est comme une peinture encore trop primive pour copier avec exactitude :

Dans son ouvrage, au mot colère, il (le futur théoricien) nous présentera les vingt cantilènes qui lui semblent exprimer le mieux le sentiment de la colère… Il les donnera avec leurs accompagnements. Font-elles plus d’effet avec ou sans accompagnements ? Jusqu’à quel point peut-on compliquer ces accompagnements[1] ?

Cet analyste, que Stendhal veut sensible et d’esprit supérieur, déterminerait par expérience les conditions du beau musical. Il discernerait que la musique doit être entendue dans le demi-jour, pour que « l’atmosphère musicale » ne soit pas troublée par des sensations de la vue. Il ferait apercevoir que la musique vit de passion, et que, si on n’a pas senti le feu des passions, « on ne voit pas ce qui en fait le principe ». Les passions varient du sud au nord ; et dès lors, le beau idéal, en musique, varie comme les climats. On ne peut faire la même musique à Rome,

  1. Vie de Rossini, pp. 99, 100.