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plus d’événement moderne où n’interviennent l’idée du surnaturel et l’intérêt d’une caste de prêtres qui en revendiquera la défense, intolérante de toute innovation, révoltée contre les États qui lui refusent le secours du bras séculier, amie de ceux-là seulement qu’elle trouve disposés à exercer, pour elle, des persécutions.

Nietzsche a toujours eu cette haine de la prêtrise ; elle inspirera son fragment de Prométhée. Encore à l’époque où il écrira le Wille zur Macht, il gardera ce mépris de la discipline religieuse qui énerve les peuples, du mensonge sacré qui invente par delà le réel un Dieu chargé d’appliquer exactement le code du sacerdoce[1], et de cette philosophie presbytérale qui fait de la vie recluse des prêtres le modèle de la vie parfaite. Toute cette mort du bonheur, cet étiolement de l’énergie, qui sont le résultat delà civilisation chrétienne, Nietzsche les attribue à « l’esprit sacerdotal » {Priester-Geist). Il y voit un grand héritage de débilité qui vient de la discipline empruntée par le christianisme aux théocraties immobiles de l’Orient ancien, et à l’Égypte tout d’abord[2]. Or, ç’avait été là une idée centrale de la doctrine de Burckhardt.

C’est pourquoi Nietzsche, comme Burckhardt, a suivi avec sympathie l’État moderne dans son effort pour remédier à cette pétrification sacrée qui fige à tout jamais les peuples gagnés par le maléfice des religions. Mais ni l’un ni l’autre, puisqu’ils restaient wagnériens fidèles et schopenhauériens orthodoxes, ne pouvaient être des admirateurs de l’État.

Il ne fait pas bon, Burckhardt l’insinue à de fréquentes reprises, regarder de trop près les origines de l’État et la façon dont il s’acquitte de sa tâche. Ce qu’on voit, c’est

  1. Nietzsche, Wille zur Macht, § 141. (W., XV, 248-251.)
  2. Wille zur Macht, § 143. (W., XV, 253.)