Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/298

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dans cette analyse si pessimiste que Burckhardt avait tracée du tempérament grec.

II. L’immoralité grecque. — Nietzsche n’aurait pas contesté à Burckhardt le mérite d’avoir tiré des mythes, de la poésie orphique et des monuments les plus anciens qui attestent la civilisation grecque une induction heureuse et neuve sur le tempérament hellénique. Cent fois il approuve Burkhardt d’avoir démontré qu’il ne faut pas se tromper au rire des Grecs, à leur goût des manifestations bruyantes, à leur art de tirer un parti alerte des circonstances. La recommandation fréquente de prendre la vie comme elle vient (εἰκῇ) prouve encore de la résignation, non de l’espoir, non de la confiance dans les hommes. La médiocrité morale et la méchanceté foncière de l’homme sont pour les Grecs croyance enracinée. Les vertus ont quitté la terre, dit Hésiode, et parmi elles la Pudeur et le Respect ; la Fidélité, la Modération et les Grâces, dira Théognis, sont exilées. Et ce disant, les poètes disent vrai de l’humanité grecque. Si la mythologie hellénique est cruelle, c’est qu’elle traduit un état social délabré et sanglant. La férocité dans les mœurs est la même que dans l’idéal héroïque.

L’homme grec est d’une cruauté sans bornes. Il se livre tout à sa passion. Il est lâche et astucieux. Il avoue ses instincts bas, et ne rougit pas de son avidité. Violent toujours, c’est dans la vengeance surtout qu’il est impitoyable. Comment ne pas réfléchir devant ce fait monstrueux : jamais, même chez les poètes tragiques les plus purs, l’âpreté d’une vengeance trop obstinée ne passe pour déceler une âme basse ; et le goût du mensonge est plus effronté encore que la rancune n’est vile. Jamais peuple n’a été aussi aisément parjure que les Grecs, malgré l’appareil terrible dont on entourait les serments ; ou