Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/302

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Une démocratie grecque, c’est une suite ininterrompue de révolutions et de contre-révolutions, où ce qui tenait en bride la faction au pouvoir, c’était la seule crainte de la défaite prochaine et des prochaines représailles. Sortait-il de sa lâcheté, le démos devenait féroce. Il extirpait les adversaires par des massacres en masse comme à Corinthe, assommait les riches à coups de matraque comme à Argos[1]. La prévarication financière des démagogues était permanente. À Athènes, l’État amenait une hausse factice des denrées apportées par mer, prélevait des impôts usuraires, imposait l’obligation subite de payer les dettes à un taux d’intérêt plus fort que le taux contractuel, l’excédent devant revenir à l’État. Quoi d’étonnant si l’aristocratie se défendait ? Elle se défendait avec brutalité, comme elle s’était établie. Mieux armée et aidée par ses esclaves, elle décimait à son tour la démocratie d’hommes libres qui n’était pas très nombreuse ; elle l’expulsait en masse, et des guerres nouvelles recommençaient entre les fugitifs et les proscripteurs.

Le régime municipal a dû périr par cette lutte également sauvage dans la cité et entre les cités. Mais nulle mort d’un régime ne fut jamais plus difficile. La vie de la πόλις a été tenace. On voit dans l’antiquité des Juifs et des Africains, les citoyens de Carthage et de Numance combattre et mourir avec leur cité détruite. Le propre des Hellènes, c’est que leur cité est indéracinable. Que des fugitifs réussissent à en sauver quelques débris, la cité renaît de ses cendres, pareille, quoique transportée au loin. Et toujours les exilés ne conservent qu’une espérance, qui est de reconquérir la patrie perdue, de gré ou de force. C’est dans ces convulsions fiévreuses que se démenèrent les cités helléniques, même à l’époque

  1. Burckhardt, ibid., l, p. 268.