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macédonienne et jusqu’à ce que vînt la paix romaine[1].

Nietzsche a réfléchi très profondément à ces leçons où Burckhardt avait vérifié par des faits nouveaux les généralisations de Fustel de Coulanges. Elles lui suggéraient des pensées nouvelles et encore plus générales. Dans ses théories ultérieures sur les races nobles, dans l’idée qu’il se fera de l’origine cruelle de toute morale, on sentira toujours un résidu de son érudition grecque. Cette « mnémotechnie sanglante », par laquelle il lui apparaîtra que les peuples, à l’origine de leur civilisation, gravent dans leur mémoire la loi civique et la loi morale, c’est chez les Grecs qu’il l’a épelée ; et c’est chez eux qu’on apprend le mieux ce qu’il en coûte de devenir un peuple intelligent et attaché à la loi. Il y faut beaucoup de massacres ; et c’est au fer rouge qu’on marque dans la mémoire des hommes les préceptes de justice.

Cette information historique au sujet de la civilisation grecque posera chez Nietzsche les assises d’un pessimisme social, sur lequel il appuiera ses affirmations morales ultérieures les plus osées. Il ne croit pas à une humanité qui soit séparée de la nature. Les qualités humaines les plus hautes, et les plus nobles selon notre présente évaluation, plongent encore dans la pure nature et dans des qualités terribles, mystérieuses et inhumaines, qu’il faut transformer en leur fond, mais sans lesquelles n’éclorait pas la fleur d’humanité.

Les Grecs nous paraissent à distance avoir été les plus « humains » des hommes. Il est donc d’un haut intérêt de savoir qu’ils ont eu en eux, toujours, une veine de férocité, et comme un instinct de « tigres ». Burckhardt n’en voulait pour preuve que leur mythologie qui épouvante. Nietzsche ajoute que les héros de leur histoire sont pareils

  1. Ibid., I, pp. 266-281.