Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/333

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laideur des modèles aurait empêché l’idéal classique de se maintenir.

La régression intellectuelle allait de pair avec l’affaiblissement physique. Le Constantin de Burckhardt manque un peu de cohésion interne. Il est visible que dans cet ouvrage, écrit le premier, Burckhardt ne tient pas encore toute sa doctrine. Il n’affirme pas encore le lien entre la forme politique, la croyance religieuse et la civilisation. Y a-t-il un rapport entre l’avènement de la tyrannie militaire qui s’achève sous Septime Sévère et la déchéance de l’esprit d’inventivité en Grèce et à Rome ? La mollesse civique qui confie la défense du territoire à une armée de métier, non plus nationale, mais barbare, tandis que le citoyen romain se voue à une vie médiocre de bien-être et de paix, a-t-elle causé la défaillance des forces morales romaines ou en est-elle le symptôme ? Ce sont des affirmations où Burckhardt ne se risque pas, faute de pouvoir les démontrer avec rigueur. Nietzsche plus tard comblera ces lacunes par des thèses générales plus audacieuses.

Il a été frappé sûrement de n’avoir pas trouvé trace chez Burckhardt de cette opinion moralisante qui établit un lien entre la décadence des nations et la vertu moyenne de leurs citoyens. Burckhardt est très moderne et très latin en ce qu’il prend pour règle d’appréciation unique la valeur individuelle. Il sait appeler « décadente » une époque où le gouvernement paraît plus préoccupé que jamais de mesures d’humanité générale[1], au point que de certaines lois, comme celle du maximum en matière de prix des vivres, prennent figure de socialisme d’État. Il sait que jamais la moralité privée ne fut plus haute que sous Constantin, et jamais moindre le scandale des mœurs.

  1. Burckhardt, Die Zeit Constantins, p. 257.