Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/338

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conditions que nous ne connaissons pas encore. Et rien ne serait passionnant comme de découvrir ces conditions mystérieuses. La pensée de Burckhardt sur la Renaissance nous est familière aujourd’hui jusqu’à en paraître banale. En 1873, elle paraissait neuve, comme Stendhal à qui Burckhardt la doit pour une si grande part. Il était naturel que Nietzsche demandât à Burckhardt et à Stendhal le secret d’une telle régénération, dont le retour possible était la seule espérance européenne.

Il y a eu un temps où l’on tenait la Renaissance surtout pour un fait intellectuel, dû à la transmission d’une civilisation d’art et d’une littérature venue de Grèce par l’émigration des savants de Byzance. C’était la faire consister surtout dans l’humanisme. On oubliait alors qu’à Byzance, où les monuments de la Grèce n’étaient pas tombés dans l’oubli, et qu’en Occident, où les Latins avaient toujours été lus, ces monuments ne parlaient plus à l’âme. La Renaissance, c’est un esprit public transformé dans des pays nouveaux, une civilisation intégrale et neuve que les modèles antiques ont pu aider à éclore ; mais ces modèles n’auraient pas été compris sans une affinité d’esprit qui rapprochait d’eux les temps nouveaux. Burckhardt avait essayé de décrire par tous ses aspects ce renouvellement de la vie sociale.

Derechef, il s’émerveillait de voir qu’une certaine matière humaine fût pétrie par de certaines formes politiques. Or, elle en sortait avec des empreintes qui toutes étaient individuelles. Le moyen-âge avait formé des hommes qui portaient la marque d’un peuple, d’une corporation, d’une famille. Il y régnait une grande uniformité du type humain et de la structure des esprits. Vers la fin du xviiie siècle, au contraire, l’Italie brusquement fourmille de « personnalités ». Comme Stendhal, Burckhardt observe qu’on n’éprouve plus de gêne à paraître singulier,