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chissement des individus, la flamme de la véracité, le dégoût de la pure parade et de la recherche de l’effet[1]. » Or, c’étaient là comme les têtes de chapitre et les manchettes marginales du grand livre de Burckhardt.

Nietzsche a appris de Burckhardt à aimer la Renaissance comme une époque où le crime savait être grand et témoigne par son épanouissement d’une sorte de vertu virile, débarrassée de l’infection moralisante, et plus estimable dans sa capacité de sacrifice que notre temps de vertu calculatrice et étiolée. Il l’aimera comme Burckhardt, pour le nombre de fauves humains redoutables et grands qu’elle a produits et dont la pullulation est à elle seule un signe de force. Il n’ignore pas qu’une foule d’hommes d’élite périssent dans les conflits sinistres qui ne peuvent manquer de s’allumer dans une humanité ainsi faite. Mais « ceux qui réchappent sont forts comme le démon ». Une civilisation infiniment libre et éclairée devint par là possible. Éclairée, et dès lors éminemment propre à assurer le pouvoir des âmes vraiment supérieures. Car le rationalisme énerve la volonté de la foule et la rend ainsi plus besogneuse de soutien. Voilà pourquoi les papes intelligents de la Renaissance, avec le sûr instinct de la souveraineté qui vit en eux, ont toléré le progrès des lumières[2]. Et comme symbole prodigieux et bizarre de cette faiblesse générale et de ce scepticisme propice à la domination des volontés sans scrupules, Nietzsche cite, après Burckhardt, le hasard qui mit César Borgia à deux doigts du trône pontifical. « César Borgia pape, me comprendra-t-on ? Eh bien ç’auraient été là les victoires que je réclame aujourd’hui.

  1. Nietzsche, Menschliches, Allzumenschliches, I, § 237 (W., II, 224.)
  2. Nietzsche, Wille zur Macht., §§740, 1017, 131, 129 (W., XVI, 188, 388 ; XV, 235, 236.)