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nelle, imagée et réaliste, analogue à celle que répandaient en Grèce les sophistes au temps du grand art hellénique. Les papes la toléraient par scepticisme supérieur. Ces Italiens violents de la Renaissance se disciplinent ainsi par la seule ambition de la gloire, et par une noble croyance en la beauté. Ils fondèrent une société qui devenait une œuvre d’art elle-même dans les moindres manifestations, pleine de fêtes, et où en tous vivait le talent de mimer leur personnalité, de la faire apparaître en allégories éloquentes et en masques expressifs. En sorte que la vie était comme une marche dans un perpétuel cortège triomphal, où l’éclat des personnalités fortes était salué par l’acclamation des foules.

Qu’on se souvienne à présent de la prédilection de Nietzsche pour la Renaissance, Où veut-on qu’il ait puisé à ce sujet son érudition ? Il a connu l’Italie assez bien, mais il l’a visitée, le Cicérone de Burckhardt à la main. Auprès de qui, si ce n’est auprès de ce disciple de Stendhal, aurait-il pris de meilleurs conseils ? La « transvaluation des valeurs chrétiennes, la tentative entreprise par tous les moyens, par tous les instincts, avec tout le génie possible, d’amener la victoire des valeurs nobles », voilà ce que fut pour Nietzsche la Renaissance. Quoi d’étonnant si dans son dernier livre encore il ajoute que le problème de la Renaissance est son propre problème : « Meine Frage ist ihre Frage[1]. » Les Choses humaines, trop humaines, soutenaient que la Renaissance italienne cachait en elle déjà « toutes les forces positives auxquelles on doit la civilisation moderne, l’émancipation de la pensée, l’irrespect des autorités, le triomphe de la culture de l’esprit sur la morgue de la naissance, l’enthousiasme de la science et du génie scientifique des hommes, l’affran-

  1. Nietzsche, Antéchrist, § 61. (W., VIII, p. 310.