Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/360

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de résistance infinie et faite de toute la force de l’univers, à peu près comme un tube fait d’une pellicule de verre supporte le choc de l’océan, pourvu qu’il soit plein de la même eau sous la même pression[1]. Nous avons en nous la force de l’univers qui nous limite, mais notre force est mieux organisée. Cette fatalité qui nous étreint, nous pourrons donc l’abattre, comme un jeune héros abat un monstre. Quelle jeunesse virile ne songerait à enfourcher, comme une monture qu’on bride, ce dragon de la fatalité : « to ride and rule this dragon[2] » ? C’est que le sentiment de la vie débordant dans les forts n’est pas différent du temps, de l’espace, de la lumière, de tout notre être corporel. Nous partageons toute la vie par laquelle ces choses existent ; mais nous l’oublions[3]. L’influence des sens sur la plupart des hommes est telle qu’ils ont perdu ce sentiment de la vie universelle où ils sont plongés. Alors les murailles du temps et de l’espace se dressent devant eux, insurmontables et massives.

Ces murailles sont, à dire vrai, de pures apparences. Le temps et l’espace mesurent la force de l’âme ; et ils nous bornent d’autant plus que nous sommes plus faibles. L’esprit, la vitalité intérieure, se joue du temps[4]. Il y a une toute autre jeunesse que celle qui est mesurée d’après l’année de notre naissance : Or, cette vitalité intérieure, cette profusion débordante ne sont-elles pas pour Nietzsche aussi la santé de l’âme ? N’est-ce pas la baisse de cette énergie dans les hommes, qu’il appelait leur décadence[5] ?

Cette vivante adaptation aux conditions de l’existence

  1. Emerson, Fate. (Conduct of Life, p. 23.)
  2. Ibid., p. 30.
  3. Id., Self-Reliance. (Essays, I, p. 57.)
  4. Id., The Oversoul. (Essays, I, p. 217.)
  5. Attention : Cette note est à une place supposée, l’éditeur ayant oublié de la positionner : Ibid., Fate. (Conduct of Life, p. 35.)