Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est liberté. Sa limite seule est déterminisme. Il s’ensuit que chacun de nous produit sa destinée. Nous créons notre condition, comme la limace exhale sa maison visqueuse. La liberté est en harmonie avec la nature. L’âme contient d’avance l’événement qui lui arrivera ; car l’événement n’est que l’actualisation de notre pensée[1]. Pas de force donc, si dangereuse soit-elle, qui ne soit contrainte en fin de compte à travailler pour l’homme[2]. Les événements croissent sur la même tige que les gens. C’est dire qu’il n’est point d’âme qui ne se réalise et qui ne se bâtisse son corps. L’âme s’empare des éléments matériels, s’en fait un logis et, de droit, elle en est maîtresse.

N’objectons pas l’histoire de nos calamités. Emerson pense qu’elles prouvent en faveur de sa thèse et non contre elle. Les changements qui brisent la prospérité humaine sont des avertissements de la nature, dont la loi est : croissance.

Toute âme, par une nécessité interne, abandonne par périodes son entier système de valeurs, ses amis, son foyer, ses lois, sa foi, comme le mollusque abandonne sa demeure nacrée, quand elle l’empêche de grandir, et va se bâtir une autre maison. La fréquence de ces révolutions augmente en proportion de la vigueur des individus. Dans un être plus heureusement doué que les autres, ces révolutions se renouvellent. Il défait sans cesse le système de ses relations. Les fils en sont comme suspendus tout autour de lui d’une façon très relâchée. Les circonstances extérieures, elles-mêmes, sont devenues pour lui comme une membrane fluide et transparente à travers laquelle on voit la forme vivante. Car cette enveloppe n’est pas chez l’être d’élite comme chez la plupart

  1. Emerson, Fate. (Conduct oî Life, p. 36.)
  2. Ibid., p. 35.