Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les qualités de l’esprit. Il dira, s’il voit l’esprit immortel : « Je suis immortel, » Et, s’il le voit invincible : « Je suis fort. » Cette force, cette immortalité, il les discerne en Lui, parce que c’est nous qui sommes en elles. Toutes choses sont touchées et changées par cet esprit. Il use de tout et on n’use pas de lui. Il sépare ceux qui y participent de ceux qui n’y participent pas. Ceux qui n’y ont point de part vivent de la vie des troupeaux et des foules moutonnières, Those who share is not, are flocks and herds[1].

Par cet esprit, nous nous élevons aux lois pures. Et de là-haut nous dominons. Emerson nous imagine ainsi transportés à des hauteurs éthérées et plongés dans une flamme vitale qui brûle jusqu’à ce qu’elle dissolve toutes choses en un océan de lumière. Or cette vaste perspective décrite ainsi par Emerson n’est-elle pas déjà « le coup d’œil de Zarathoustra »[2] ? Et cette certitude que nous donne la vaste existence où nous reposons, dont nous sommes un ardent atome, et qui nous prépare à régénérer en nous toute la vie de l’esprit, la religion, la morale, la pensée et l’art, n’est-ce pas un des aspects auxquels se reconnaîtra chez Nietzsche le renouvellement de toutes les valeurs ?

Emerson a eu sur le christianisme des idées que Nietzsche a conservées toutes. S’il n’y a pas sans doute chez Emerson de diatribes violentes, ce sont les mêmes docteurs du christianisme décadent qui sont visés quand Emerson dit qu’une religion vraie ne peut consister à enseigner des vérités sensibles, à décrire la fin du monde, ou le pays d’immortalité, la condition future des âmes. Pour Emerson, croire que Jésus a pu parler de l’immortalité, c’est déjà l’avoir trahi judaïquement[3].

  1. Emerson, Fate. (Conduct of Life. p. 26.)
  2. Emerson, Fate. (Conduct of Life. p. 26.)
  3. Emerson, The Oversoul. (Essays, I, p. 225.)