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CHAPITRE II


SCHILLER



Il faut faire très grande sur Nietzsche l’influence de Schiller[1]. On se méprendrait si l’on croyait que le sarcasme, sous lequel Nietzsche a voulu anéantir Schiller en l’appelant der Moraltrompeter von Saekkingen[2], a pu être le jugement de ses années de début. Ce sont les Brigands de Schiller qui, en 1859, donnent à Nietzsche adolescent une impression de surhumanité ; et le mot d’Uebermenschlich, c’est à leur occasion que Nietzsche le prononce pour la première fois. Ses travaux philologiques eux-mêmes, d’une façon imprévue, repro-

  1. Udo Gœde, dans le livre ingénieux et mesuré qu’il a publié sous le titre de Schiller und Nietzsche als Verkünder der tragischen Kultur, 1908, était très qualifié pour établir cette influence. Il a mieux aimé traiter de Schiller comme d’un précurseur de Nietzsche, sans se demander le plus souvent si les concordances qu’il note démontrent une action de Schiller sur Nietzsche, ou tiennent à des causes profondes et similaires qui ont dû amener Nietzsche à penser souvent comme Schiller, alors même qu’il ne songeait pas à lui. Pour ma part, je crois à une influence profonde de Schiller sur Nietzsche. L’essentiel des pages qui suivent a paru dans l’Humanité du 14 mai 1903, à l’occasion du centenaire de Schiller. Je suis heureux de voir Gæde, dans le livre précité et Kühnemann dans son Schiller (fin 1905) arriver à des résultats qui coïncident avec mes aperçus d’alors. Il faut protester contre le jugement hâtif de Mœbius : « Schiller den er in der Jugend gelobt, aber wol nicht viel gelesen hatte, wurde ihm ein Gegenstand des Hohns » (Das Pathologische bei Nietzsche, p. 34).
  2. Il va sans dire qu’il n’y a aucun rapport entre Schiller et le mousquetaire jovial, claironnant et tendre dont Victor von Scheffel a fait le héros de son poème.