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duisent des citations de Schiller. Il avait comparé paradoxalement Théognis au marquis de Posa en 1864, et ce fut bien juste s’il se ravisa pour biffer la citation[1]. On pourrait négliger ces anecdotes. Mais ce que nous n’avons pas le droit d’oublier, c’est que le nom de Schiller est associé à l’une des plus hautes et des plus fortes émotions que Nietzsche ait ressenties à l’époque où il cherchait encore sa voie. Le 22 mai 1872, quand il entendra à Bayreuth cette exécution de la IXe Symphonie, où éclatent, pour finir, les strophes de l’Hymne à la joie de Schiller, il eut la révélation d’un sentiment de la vie qui en lui restera durable. Il frissonna de la joie tragique qui accompagne l’abnégation du savant, et suit sur leur calvaire les martyrs. De ce jour-là le problème de la valeur de l’existence se posa pour Nietzsche dans les termes où il l’a posé toujours. Nous suivons une orbite tracée par des nécessités aussi certaines que celles qui entraînent les astres. Il s’agit d’accepter ces nécessités, et de courir notre destinée avec la certitude que notre vie individuelle a valu la peine d’être vécue, quand elle devrait, au terme, s’abîmer dans un néant éternel.


Froh, wie deine Sonnen fliegen
Durch des Himmels prächtgen Plan,
Wandelt, Brüder, eure Bahn
Freudig, wie ein Held zum Siegen.


À l’époque même où il est détaché de Wagner depuis longtemps, entre 1876 et 1879, Nietzsche se réconforte encore de cette tragique joie schillérienne[2]. L’affinité la plus profonde qu’il y ait eue entre Schiller

  1. Deussen, Erinnerungen, p. 12. — Corr., I.
  2. « Erst jetzt fühle ich mich in dieser Bahn. » (Menschliches, Allzumenschliches, posth., § 390 (XI, 123).