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curieusement la succession des formes héroïques qui se profilent sur la scène schillérienne. « Les formes que crée un artiste ne sont pas lui-même. Mais la succession des formes auxquelles visiblement il est attaché de l’amour le plus profond, énonce quelque chose sans doute au sujet de l’artiste[1]. »

Une notion de plus en plus épurée du pathétique dont est remplie l’âme de Schiller, voilà, selon Nietzsche, ce dont témoignent ces figures qu’il évoque. Mais, dès Fiesque, la morale contenue dans les drames de Schiller est de « repousser pour le bien de la patrie, la couronne que nous serions capables de conquérir »[2]. Nietzsche estime qu’il y a lieu de reprendre et d’élargir cette œuvre d’éducation commencée par Schiller. Il lui emprunte sa notion d’un héroïsme capable de conquêtes, mais dédaigneux de récompenses et qui met au service de la collectivité, volontairement obéissante, son énergie seulement et sa séduction. Ainsi le marquis de Posa encore ne savait qu’une chose : dire la vérité à un roi d’Espagne au risque de sa vie ; en déposer l’enseignement dans le cœur d’un disciple royal, et périr sous la balle de ses ennemis. Mais c’est pour l’avoir scellée de sa mort qu’il a fait sa pensée immortelle. Nietzsche, à ses débuts, ne tolérait même pas le sourire avec lequel la présomption contemporaine accueille ces héros candides[3]. Schiller est pour lui le type même du lutteur plein d’espérance[4], et c’est Schiller, enlevé trop tôt par la mort, qui a manqué comme organisateur et comme chef à la jeunesse studieuse dans une grande heure, à l’heure où elle se levait dans un

  1. Richard Wagner in Bayreuth { W., I, 505).
  2. Zukunft unserer Bildungsanstalten, posth., § 9 (W., IX, 433).
  3. Zukunft unserer Bildungsanstalten {W., IX, 335).
  4. Ibid., IX, 301.