Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/56

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cette loi du devoir, froide et pleine de reproches, qui est en nous le témoignage humiliant de la discorde intérieure où vivent notre intelligence rationnelle et nos instincts sensibles. Par une noble habitude, qui deviendrait sa nature même, l’homme irait droit aux causes belles ; et cette Grèce nouvelle, qui dirait la réussite magnifique de notre effort artiste et de notre ténacité virile, se maintiendrait par l’adhésion de notre sensibilité séduite. Cet idéal est comme ces collines vertes et jeunes qu’on voit surgir par delà les brumes de notre vallée étroite. Des mélodies nouvelles passent dans les brises qui les effleurent. Des fruits d’or brillent dans les feuillages.


Goldne Früchte seh ich glühen
Winken zwischen dunklem Laub[1].


Une pareille nostalgie des îles bienheureuses vivra aussi en Nietzsche. Comme Schiller il croira que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue sans cette pensée nostalgique. Il croira comme Schiller que la réalisation en est pleine de dangers, et que ces dangers en font la séduction suprême. Il faut croire en la vie, même dure, dangereuse et décevante.


Du musst glauben, du musst wagen
Denn die Gœtter leihn kein Pfand[2].


Voilà le grand courage où Nietzsche et Schiller sont d’accord. S’il faut un miracle pour nous transporter au rivage d’une autre vie humaine plus haute, il ne peut venir que de l’homme même, et d’une grande « mutation » qui déploie ses énergies brusquement. Nietzsche puise dans Schiller cette foi tenace qui rendra possible le miracle de l’humanité nouvelle.

  1. Schiller, Sehnsucht, 1801.
  2. Ibid.