Page:Andler - Nietzsche, sa vie et sa pensée, I.djvu/62

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Ce que nous aimons dans les plus humbles d’entre eux, dans la pierre couverte de mousse, dans la fleur, dans le gazouillement des oiseaux, c’est, par comparaison avec notre pensée factice et notre manière d’agir conventionnelle, la solidité avec laquelle ils plongent dans la substance même des choses : tous les êtres naturels existent par eux-mêmes, selon des lois qui leur sont propres et qui sont immuables. Ils évoquent ainsi en nous l’image d’une vie qui consentirait à sa destinée. Si humbles qu’ils soient, ils nous offrent le symbole de l’existence parfaite, et comme une constante révélation du divin. Ils ont tout ce qui nous manque ; cet achèvement qui vient de la nécessité et se repose dans la sécurité de ce qui ne change pas ; tandis que notre changement constant est la rançon de notre liberté.

Si nous pouvions vivre d’une existence assujettie dans son changement à des lois immuables, mais à des lois qui auraient l’adhésion constante et spontanée de notre liberté, notre idée de la vie intégrale serait réalisée. Les êtres naturels nous offrent le symbole de cette vie parfaite. Sans doute, c’est par un effet de notre imagination. Nous faisons à des choses mortes un mérite de leur calme immobile, et aux vivants que pousse leur seul instinct nous attribuerons la résolution préméditée de la direction droite, simple, impossible à fausser, qu’ils suivent. Pourtant la contemplation de leur placidité nous permet de nous figurer un calme pareil dans l’acceptation de notre destin propre : et Schiller ne connaît pas d’attitude intellectuelle supérieure. Ce consentement au destin préconisé par Schiller est l’une des sources où Nietzsche puisera l’enseignement de cet amor fati qui sera l’impératif principal de sa morale.

Par un renversement singulier des termes, les êtres naturels, immuables et achevés, nous prescrivent sym-